Devenir Vivants

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Titre de l'ouvrage: 
Devenir Vivants
Auteur(s) de l'ouvrage: 
Séverine Kodjo-Grandvaux
Maison d'édition: 
Editions Philippe Rey
Date de parution de l'ouvrage: 
Janvier 2021
Date de rédaction: 
Mars 2022

 

L’auteur : philosophe, Université de Paris VIII. Journaliste à Jeune Afrique puis actuellement au Monde ; elle est l’auteure de l’essai Philosophies africaines

Introduction

Il parait essentiel de repenser notre rapport à la Terre et à l’ensemble du vivant, le tout-vivant, mais aussi d’engager une révolution épistémique[1] afin de recouvrer ce que sous la Modernité, l’Occident a délaissé du point de vue philosophique et ontologique et abandonné aux scientifiques : notre condition cosmique p12 ;

Comment repenser une nouvelle configuration épistémique est l’objectif de l’auteure p61

 

Il nous faut penser contre la Nature - c’est à dire renoncer au concept de Nature que la modernité occidentale a forgé pour mieux exploiter la Terre et une grande partie de l’humanité -  pour mieux renouer avec la terre, l’eau, l’air, le souffle, c’est à dire avec le tout-vivant.

Le tout-vivant réunit de manière intrinsèque et inextricable tout ce qui se meut, se bat, pulse, vibre résonne. Le tout-vivant serait cette totalité, en constante création et recréation d’elle-même . p13-14

C’est en pensant contre la Nature que l’homme occidental pourra commencer à se dévêtir de son habit de colon ; les deux dominations : celle de l’humain sur le tout-vivant et celle de l’Occident sur le reste du monde.

Cet essai est une invitation à renouer avec notre condition cosmique. Il ne s’agit pas tant d’être en harmonie avec le cosmos qu’en éveil, en écoute, dans l’attention ; d’entrer en résonnance. Nous ne sommes pas hors de l’univers ni dans l’univers. Nous sommes l’univers. Il est en nous et nous sommes lui  p23

 

  1. Dominer la nature, dominer l’autre

 

La colonisation moderne commence en 1492 avec Christophe Colomb, lorsque les Etats d’Europe occidentale s’élancent à la découverte du monde en conquérants. La colonisation est constitutive de l’histoire moderne occidentale. Les avancées scientifiques en physique mathématiques, astronomie sont déterminantes pour la navigation et permet au sujet européen de s’imposer. Dès 1492, l’Europe devient l’Occident. La domination est le moteur de notre passé et de notre présent. Sans colonialité, pas de modernité ni de capitalisme. Le capitalisme est colonial par essence. La traite négrière transatlantique n’aurait pas été possible sans l’invention d’un système bancaire centralisé en Grande Bretagne. La banque d’Angleterre, première banque centrale du monde, et la plus puissante compagnie d’assurances, la Llyod’s of London, joueront un rôle capital. En France de nombreuses villes (Bordeaux, Nantes. La Rochelle, Le Havre, …) ont tiré d’énormes profits grâce au commerce triangulaire p31

La fin de la colonisation n’a pas mis fin à la colonialité

Il importe de s’interroger sur l’origine de la colonialité si l’on veut comprendre comment le rapport occidental au monde, à la Terre, au territoire, au vivant en a été affecté. L’objectif de l’auteure est de s’interroger sur les fondements épistémiques et épistémologiques de la colonialité p33

 

« Cinquante ans après l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique, le monde européen doit faire face à une découverte extraordinaire ; celle de l’héliocentrisme. Toute la cosmologie s’effondre. L’Eglise mettra deux cent ans à reconnaître que la Terre tourne autour du Soleil. Alors que l’Europe s’embarque sur des caravelles à la conquête du monde, un autre mouvement s’amorce : les humanités occidentales se recentrent sur la Terre au moment même où la révolution copernicienne finit par imposer un modèle cosmique héliocentrique. L’Homme moderne apprend qu’il n’est plus le centre du cosmos (blessure narcissique selon Freud). La découverte de l’héliocentrisme a une double facette ; Elle expulse l’humanité, la Terre du centre du cosmos pour y imposer le Soleil, qui depuis l’antiquité est identifié au principe masculin dans de nombreuses philosophies et cosmologies européennes. Jusqu’au XVI siècle, l’épistèmê européenne associe très largement la Terre au principe féminin, la mère nourricière. La Terre, la société, l’individu sont reliés d’une manière organique à l’ensemble du cosmos. La révolution galiléo-cartésienne coupe ce lien organique, dévitalise le cosmos et tue la Terre-Mère, remplacée par une nature-chaos qu’il faut ordonner. C’est toute une épistèmê, où les principes féminins jouaient un rôle important dans le vivant, qui disparaît au profit d’un monde et d’un univers mécaniques qui élimine l’importances des principes féminins et justifient leur exploitation. La Nature qui reste identifiée au principe féminin est désordonnée. L’homme entend y remettre de l’ordre en chassant la magie des sorcières de cet univers mécanique désenchanté et sécularisé qui émerge au XVI siècle (voir les textes de Francis Bacon dans le livre The Death of Nature de Carolyn Merchant) p34. Avec Copernic c’est le principe féminin de la Terre, centre du cosmos qui est remplacé par le principe masculin du Soleil.

 

La révolution scientifique a coupé l’humanité du lien organique au cosmos, L’homme moderne ne se sent plus appartenir à un vaste ensemble, d’autant que la découverte de notre galaxie n’est qu’une parmi plusieurs milliers de milliards. S’appréhendant comme unique détenteur de la Raison il devient étranger au cosmos, une singularité sur Terre et dans l’univers, extérieur à la nature qu’il pense pouvoir dominer. La philosophie se détourne d’un point de vue ontologique du ciel et des étoiles pour se concentrer sur la Terre alors que jusqu’à cette époque, les philosophes pensaient le cosmos et l’homme en son sein ; ils abandonnent l’univers infini, décentré aux seuls scientifiques qui vont en devenir des spécialistes ;

 

Apports de la biologie p42-43 : Si l’on admet que nos corps sont constitués d’un réseau de microbes, bactéries et autres micro-organismes et que cette intrication symbiotique a comme résultat notre présence au monde, nous sommes alors des êtres de composition, c’est-à-dire résultant d’une activité « microbiotique » collective. « Nous sommes donc je suis » p43 . Avec la métaphysique, l’être a été pensé au contraire en termes d’identité on opposition à l’étant, au devenir et aux pluriels. Ce refoulement du vivant s’accentue à l’ère moderne quand l’homme occidental sépare Nature et Culture. Il s’extrait du tout-vivant qu’il transforme en objet nature et environnement. L’homme moderne refuse de reconnaître au tout-vivant une dignité philosophique car il l’a dénué d’émotion, de sensation, de passion. La nature est dépossédée de ce qui l’anime et devient par la force des choses de la res extensa, une matière quantifiable, mesurable en opposition à une res cogitans p44. Ainsi naît le mythe épistémologique de la modernité d’un sujet autogénéré qui a accès à la vérité universelle au-delà de l’espace et du temps, un aveuglement envers sa propre localisation spatio-corporelle. C’est sur cette révolution épistémique galiléo-cartésienne que va se consolider le capitalisme.

 

L'Europe est partie à la conquête du monde grâce au développement des techniques de représentation du globe et de navigation, motivée par un désir de découvertes d’autres terres – à exploiter, à dominer et à intégrer dans une nouvelle économie-monde – mais aussi par un désir de toute puissance qui se manifeste, après avoir renoncé au modèle céleste, par la volonté d’imposition d’une rationalité et d’un modèle civilisationnel. Ce modèle est celui d’une civilisation de l’universel uniforme, qui se construit autour de l’appropriation et qui fait de la propriété privée une valeur cardinale. Réduite à la fonction de ressources, la Terre devient un objet de possession, une propriété, un territoire. Celui qui procède ainsi rompt son lien véritable au tout-vivant, au sol, et scinde l’humanité en peuples, en nations qui se retranchent derrière des frontières et transforment les éléments naturels (montagne, cours d’eau en autant de barrières) p49

 

La séparation Nature/Culture, c’est-à-dire l’objectivation du tout-vivant, rendu inerte, en une ressource mesurable, quantifiable et exploitable, est déterminante ; (Voir l’exemple du Code Noir du roi soleil p53). Assimilé à la Nature et non à la Culture, le Noir (L’Africain) peut être, comme tout élément naturel, transformé à la fois en une ressource à exploiter et en outil qui sert à exploiter les ressources naturelles.

 

Hybris du point zéro, caractéristique de la colonialité épistémique « Le point zéro est le commencement épistémologique, mais aussi le début du contrôle économique et social du monde. L’Occident pose sa raison comme souveraine et l’impose aux autres peuples. Ainsi se constitue la colonialité de l’être, du savoir, du pouvoir p57

 L’Occident a commis de nombreux épistémicides, en détruisant les épistémologies autres. Dès lors ont été perdus de nombreux savoirs locaux, L’Occident a anéanti des mondes qui pensaient les humains dans leur insertion au tout vivant qui inclue le cosmos p59

Aujourd’hui le cosmos est perçu comme une nouvelle zone à coloniser et est devenu un nouveau champ de menaces et de bataille.

 

  1. Réintégrer la plénitude du tout-vivant

 

Habiter pleinement l’univers c’est comprendre d’un point de vue philosophique et ontologique[2] ce que vivre non pas dans mais avec un univers infini peut vouloir signifier et impliquer du point de vue épistémologique et éthique

 

Que nous apprennent les astrophysiciens p68 (voir aussi l’article de l’Humanologue ci dessous) .

 

L’univers est en nous

Quelques citations de l’article de

Jean François Dortier

L’Humanologue, N°4, septembre 2021, pp. 96-97

 

 

L’univers est en nous

 

Cela signifie d’abord que nous sommes composés de parcelles de l’univers primordial. Tous les atomes d’hydrogène qui composent notre corps viennent du big bang originel qui a eu lieu il y a 13,5 milliards d’années. L’univers n’était qu’un plasma (un gaz brulant) en expansion. La séparation entre la Terre et le ciel remonte à beaucoup plus tard. ; 

 

Les étoiles sont en nous

Tous les autres atomes qui composent le corps humain – oxygène, carbone, calcium, magnésium, etc. – proviennent de cœur des étoiles. Avant de s’assembler en molécules, puis en cellules, en organes, et en un corps complet, il fut un temps où nos atomes ont vécu dans le sein d’une étoile. C’est au centre des étoiles que se forment tous les atomes de l’univers. Pendant des milliards d’années, les étoiles brillent en produisant des milliards d’atomes dans leur ventre brulant. Puis un jour l’étoile meurt. Les atomes qui la composent se dispersent alors dans l’espace. Ce sont eux qui forment les éléments solides de l’univers : les métaux, les minéraux, l’eau, les êtres vivants. Tous sont faits à partir d’éléments venus du cœur d’une étoile. L’univers et les étoiles sont en nous.

 

L’océan est en nous

Notre corps est composée à 65% d’eau qui vient des rivières, des lacs, des océans. D’où vient cette eau ? Encore de l’espace. Beaucoup de météorites sont composées de glace et de neige. Lorsqu’une météorite s’approche de la Terre sa glace et sa neige fondent au contact de l’atmosphère et les molécules d’eau tombent sur la Terre. Toute l’eau de la Terre vient de l’espace. Au fil du temps c’est une pluie de météorites glacées qui ont formé les océans et les mers.

 

 

L’histoire de la vie est en nous

La  vie est née dans les océans. Et pendant trois milliards d’années, elle y est restée. Puis, les premiers organismes (des bactéries, des plantes, puis des animaux ) sont sortis des mers et ont colonisés la Terre. Nous autres, animaux terrestres, croyons avoir quitté notre océan primordial il y a bien longtemps. C’est faux. Nous restons pour l’essentiel des animaux marins. A la seule différence que nous transportons l’océan en nous, l’eau salée composant 65% de notre organisme. La longue histoire du vivant, celle des animaux marins n’est pas derrière nous, elle est encore en nous. Les océans, comme les étoiles, sont encore en nous.

 

Les plantes et les animaux sont en nous

Pour recomposer chaque jour notre organisme (car les cellules de notre corps se renouvellent sans cesse), il nous faut fabrique de la matière organique. Or un corps humain ne sait pas faire cela. Seules les plantes savent créer des molécules organiques (lipides, protides, glucides, etc.)

Les plantes sont dites autotrophes. Les animaux, eux, sont hétérotrophes : ils ne savent pas fabriquer par eux-mêmes les briques du vivant et doivent les chercher chez les plantes ou chez d’autres animaux (qui se nourrissent de plantes)

 

L’univers, les étoiles, les océans, les plantes et les animaux sont tous à l’intérieur de nous

 

 

 

Nous portons en nous toute l’histoire de l’univers. Il y a une continuité matérielle et ontologique entre la Terre et le reste de l’univers, mais également entre l’humain, l’animal, le végétal, le minéral et l’univers

Etre terriens ne signifie pas que nous sommes des êtres terrestres. Nous sommes plus que cela, nous sommes des êtres astraux. La Terre n’est pas seulement le sol sur lequel nous nous mouvons, elle ; est avant tout un corps céleste.

Les êtres vivants sont des êtres solaires et lunaires ( voir exemples) p72

 

L’atmosphère que nous habitons est l’œuvre d’une cocréation. La vie produit l’atmosphère, elle créée l’oxygène et l’ozone ; l’atmosphère à son tour produit la vie, la nourrit, lui permet d’être

L’air que nous respirons est le souffle d’autres vivants. En inspirant nous faisons entrer le monde extérieur en nous, en expirant, nous nous projetons dans le monde. Nous sommes pleinement immergés dans ce que nous avons considérés à tort comme notre environnement. Nous n’existons pas dans un grand Tout qui nous dépasse. Nous contenons en nous ce qui nous dépasse. Cela nous oblige à revoir la notion de chez-soi quand nous sommes dans le monde et que le monde est en nous. Nos racines ne sont pas tant dans la Terre que dans le cosmos.  Notre généalogie remonte aux étoiles, elle n’est pas seulement individuelle et sociale, elle est aussi cosmique

Apport d’Albert Einstein : la matière est énergie. L’énergie et non la matière est au fondement de notre univers. (..) Selon la théorie de la relativité générale, l’espace-temps est une structure qui est déformée par la présence, en son sein, de masse-énergie. Einstein créée un nouveau cosmos, infiniment plus ambitieux. Il appelle à penser la philosophie du vivant comme une cosmologie. La culture occidentale, à travers la religion catholique a déplacé la vie, la plénitude du vivre de la Terre à un monde autre.

 

Le mouvement s’inscrit au cœur même du vivant et donc du vivre. La vie n’est pas substance mais mouvement, sujet agissant. Le soi ne peut être réifié dans une définition, une identité figée. Il est au contraire engagé dans le mouvement même du vivant, dans l’action et la transformation de soi (voir livre de François Jullien, Philosophie du vivre). Le courant majeure de la pensée occidentale a immobilisé le mouvement, en un mot le vivant. La métaphysique fige en permanence en essences. Descartes et la Modernité rejettent l’expérience individuelle pour une expérience objective et déterminée que la science a systématisée ; la philosophie a suivi ce même cheminement : manière de vivre sous l’Antiquité, elle est devenue affaire de spécialistes ; elle se transforme au XIXè  siècle en pensée systémique selon le modèle scientifique, on pense pouvoir retirer toute subjectivité au philosophe et produire une pensée objective, valable en tout temps et en tous  lieux et produite non pas par des êtres de chair mais par de purs esprits. C’est là le travers du cogito cartésien et de l’universalisme des Lumières. Comment dès lors peut-on, selon cette approche, dire l’être qui est force, énergie en perpétuel mouvement ? Comment ne plus oblitérer l’expérience du vivant, celle que le sujet fait et éprouve ? Comment au contraire la réinvestir pour réintégrer pleinement le monde ? Pour naître au monde et naître avec le monde, et ne plus être dans une position verticale de surplomb, mais horizontale de résonance, p80.

 

Bergson s’est opposé à cette métaphysique qui spatialise le vécu, qui le détache de soi et le divise en parties mécaniquement reliées. L’homme moderne rationnel doit réapprendre à laisser parler son corps et à ne plus être uniquement dans un rapport d’extériorité aux choses pour renouer avec l’émotion et l’intuition, cette intelligence qui comprend ( prendre, saisir) le monde. L’intuition nous permet de connaître vitalement le monde et d’entrer en résonance avec lui p81

Le rythme selon Senghor est l’élément vital par excellence. Le rythme c’est le battement de la vie, le souffle vital. Le rythme est une notion centrale pour les pensées, les philosophies et les cosmologies chinoises. Résonner, se faire entendre, c’est sa manière d’être. Le rythme est l’âme de l’univers et de tout un chacun. Le souffle est ce qui nous relie, et plus que cela, il est l’élan vital, ce qui fait advenir et conduit à un plus-être p82-83

 

Vivre c’est se placer au cœur de l’émotion (mettre en mouvement), saisir le réel par ce qui est invisible, son souffle. C’est être en écoute et en entente avec. C’est résonner et être en résonance. Vibrer avec. Connaître le tout-vivant, c’est battre au rythme de l’univers et renouer avec notre mémoire cosmique.

 

L’Occident s’est construit sur l’humanisme, cela lui a permis de penser la liberté comme valeur suprême de l’homme d’abord, de l’humain ensuite. Mais il n’a pas perçu à quel point son épistémé devenait anthropocentrée et le coupait du reste du réel p87. La philosophie peut se muer en une cosmologie relationnelle du tout-vivant énonçant le lien organique, symbolique, spirituel, sémiotique entre l’humain et le non-humain et finissant par ne plus accorder d’importance à cette distinction. Toute cosmophilosphie serait une pensée de dépassement de l’humain.

 

Etre humain n’est pas donné. Devenir humain ou être davantage humain, c’est aider à l’accroissement de la vie, travailler à renforcer l’être, à aller vers plus d’être. Réaliser son humanité, c’est aider au déploiement de la force vitale, c’est également investir de manière féconde la relation, en ce que tout être est un être relié. Comprendre que la force vitale qui nous anime nous permet de nous réaliser pleinement, c’est-à-dire spirituellement.

 

  1. Faire monde

 

En 1963, Merleau Ponty attaquait frontalement l’universel de l’Occident comme étant un  « universel de surplomb », qu’il associait à une méthode strictement objective. p104 L’universel devient celui de notre condition d’être humain, de vivant, de notre condition cosmique, c’est-à-dire de notre inscription dans un univers né du principe cosmique qui n’engendre et ne se dit que dans le pluriel. La physique moderne nous a appris que tout est issu de l’un. L’histoire de l’univers est celle de l’uniformité devenue complexité. Le vivant ne se donne que dans sa pluralité, autrement dit l’universel (notre condition) ne s’inscrit que dans le particulier (notre modalité). Le divers (biodiversité, diversité génétique, des espèces, etc.) est ce qui permet au tout-vivant de de se régénérer. Ce dernier tire sa force de la pluralité et du mélange. Notre condition cosmique nous permet de conjuguer universel et particulier sans que l’un détruise l’autre.  Si universalisme il y a, c’est celui d’un universel de fondement. L’univers obéit aux mêmes lois, ce qui ne s’oppose pas à l’idée de multivers p105

 

Etre universel, c’est ne pas être identique mais au contraire différent. L’universel est à proprement parlé un pluriversel. Cela suppose d’abandonner l’abstraction de l’universel du Même afin de saisir la puissance du pluriel. Notre monde n’est pas abstrait. Il s’établit en des géographies différentes, lesquelles influent sur notre culture, nos pratiques qui façonnent différentes manières d’être au monde et de multiples univers de signification p107. Nos pensées, nos croyances, mais aussi notre rationalité ne naîssent pas de nulle part. Elles s’ancrent dans notre corps et dans le corps de la Terre, et sont à proprement des géo-graphies des écritures de la Terre. L’humain, en tant que tel et comme tout vivant, inscrit sa présence dans un territoire particulier mais aussi, d’une manière plus riche, dans un terroir, un lieu où il élit domicile et qu’il transforme.

Le terroir pourrait être compris comme cet espace qui nourrirait le projet de renforcer la vie et l’inscrirait dans l’élan vital, dans l’élan de plus-de-vie. Le terroir serait un topos que l’on investit pour y cultiver ce dont on a besoin pour renouveler la vie p109.

Nous devrions exprimer notre culture par la façon dont nous prenons soin de nous-mêmes et de notre biotope, non en nous comparant et en nous opposant les uns les autres

 

La relation est la donnée fondamentale de notre monde, la condition de notre existence. La vie, le cosmos sont relation. Rien n’existe seul. Tout est inter-relié. Il n’y a pas d’existence propre. L’autonomie est un leurre. Elle a été au centre de la construction occidentale des droits humains et de la démocratie en permettant de penser l’individu et de lui octroyer une puissance libératrice et créatrice. Le monde du tout-vivant nous enseigne que toute action est inévitablement interaction.

 

Faire monde, ce n’est pas penser le monde mais penser avec le monde et être avec le monde, avec les autres. La notion africaine d’ubuntu « je suis parce que nous sommes »p115

Faire monde revient à créer de l’en-commum par une mise en commun des ressources parce que le groupe accroît la puissance d’agir et la force de vie p117

 

La Raison n’est pas seule à même d’accéder à ce qui est : exemple de la Plénitude du vide de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, enseignée depuis des siècles par l’hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme pp120-23

 

La vérité et le faux : la vérité est généralement définie par opposition au faux, elle est ce qui est adéquat au fait. Il est possible de maintenir le concept de vérité si on ne le pense plus dans son opposition au faux. Ce qu’il faut abandonner ce n’est pas tant la notion de vérité que la dichotomie dans laquelle elle est enfermée avec le faux. La pensée dualiste a ceci de fâcheux qu’elle emprisonne le réel dans une appréhension binaire et réduit les possibles. Selon la méthode scientifique, est vrai non pas ce qui est en adéquation avec le réel, mais avec la théorie qui permet de mieux rendre compte du réel, c’est-à-dire de le rendre intelligible. Les théories ne sont rien d’autres que des cadres de pensée au sein desquelles on appréhende le monde p124

Repenser l’incomplétude de la pensée. L’entre, le vide impensé des philosophies occidentales peut être un lieu qui permet au souffle de circuler, à l’énergie de se transmettre et de faire monde. L’entre-deux est primordial, il est le lieu de la relation et du silence, lequel permet de faire résonner ; il est le lieux du silence qui permet tous les possibles.

Entrer en résonnance pour réintégrer la plénitude du tout-vivant. Faire de l’écologie une échologie, c’est-à-dire une sortie de soi qui est praxis de la résonance.

 

  1. Renaître au tout-vivant, renaître à soi

 

Renouer avec notre condition cosmique pour réintégrer la plénitude de tout-vivant

Si la modernité a coupé l’humain du cosmos, elle a séparé ontologiquement les occidentaux du reste de l’humanité.

Comment vivre ensemble sur cette même planète Terre dans notre pluralité et notre diversité ?

Les traumas de l’histoire se transmettent de génération en génération à travers la mémoire corporelle (le fonctionnement de nos gènes peut être influencé par l’environnement social, écologique, mais aussi historique, et familial). Ce que nous apprend l’épigénétique, c’est qu’il ne saurait y avoir de déterminisme génétique à proprement parler. Des découvertes récentes montrent que des modifications du fonctionnement génétique pourraient se transmettre sur plusieurs générations. p135-138

 

Par sa dimension thérapeutique, le travail de mémoire en reconnaissant la blessure subie permet de passer du statut de victime, à celui d’acteur de sa propre histoire en étant l’auteur du discours de soi p139-153

Notre mémoire cosmique nous invite à repenser notre lien avec l’ensemble du vivant et du cosmos, avec le tout-vivant, afin de vouloir entrer en résonance avec lui, et de cultiver cette manière d’être au monde et de faire monde p152

 

Entrer en résonance avec le cosmos induit une philosophie de l’éveil et du soin (care), en un mot d’être attentif d’un point de vue spirituel et matériel à l’univers dans lequel nous évoluons et que nous co-fabriquons p152

 

La mémoire entend donner sens au passé afin de permettre une appropriation de son propre futur. p154.  La mémoire utopique ne répète pas le passé. Elle reprend, le relit et libère. Elle se décale par rapport au passé, fait un pas de coté. On se met à distance du passé pour pouvoir y accéder de nouveau, dans une reprise critique et non dans une commémoration, laquelle gèle le passé p156 (Reprise notion de Kiekegaard)

La reprise est appropriation personnelle. C’est une re-création libératrice. En renaissant à nouveau dans la reprise, l’individu change son être intérieure. Prêt à entrer en résonance avec soi-même. On se désadhère de soi pour mieux se réinventer, se projeter, émerger. Cette pratique utopique aide à réorienter sa vie en la délestant de ce qui l’encombrait. p158

Rien n’est pleinement déterminé, tout est possible, c’est là la grande leçon universelle, cosmique. Le tout-vivant est création continue. Il n’y a pas de déterminisme absolu même génétique. Le principe d’incertitude d’Heisenberg sonne le glas de l’univers déterministe de Newton. Le changement est omniprésent et perpétuel (voir le livre La plénitude du vide de l’astrophysicien Trinh Xuan Than). C’est là une invite à nous inscrire pleinement dans le mouvement du vivant et non pas à nous laisser porter par la vie, à exister, c’est-à-dire à sortir de soi. p161

L’éveil, c’est cette attitude à endosser et à développer, un travail sur soi pour faire taire l’ego assourdissant et être à l’écoute du monde et du cosmos. Entrer en résonance et en éveil pour être attentif à toutes les possibilités, aux futurs possibles. Vivre dans l’instant, c’est être en éveil, dans l’attention, prêt à résonner.

 

Le temps cosmique ne fonctionne pas comme selon un avant et un après. Le temps absolu newtonien, le temps impersonnel et le même pour tous n’existe pas. p162-63

L’être est devenir. Le présent est devenir, empli des possibles et d’impossibles à réaliser.

 

 

 

[1] Michel Foucault, dans Les Mots et les Choses, voit dans l'épistémè une notion de philosophie, d'histoire et de sociologie, alors que l'épistémologie renverrait à une généalogie du savoir, en tant qu'étude des sciences (objectifs, organisations et méthodes des objectifs, principes fondamentaux, ses enseignements, relations entre elles, etc.), l'épistémè reviendrait à contextualiser le savoir et à décrire ce qu'il est à une époque donnée. (Wikipedia)

Epistémé : Ensemble des connaissances réglées (conception du monde, sciences, philosophies…) propres à un groupe social, à une époque. (Dictionnaire  Le Robert)

[2] L'ontologie est une branche de la philosophie qui, dans son sens le plus général, s'interroge sur la signification du mot « être ». « Qu'est-ce que l'être ? » est une question considérée comme inaugurale, c'est-à-dire première dans le temps et première dans l'ordre de la connaissance.