Galilée et les indiens

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Auteur(s) de l'ouvrage: 
Etienne Klein
Maison d'édition: 
Editions Flammarion
Date de parution de l'ouvrage: 
Janvier 2008
Date de rédaction: 
Mai 2013

 

L’auteur

Professeur à l’Ecole Centrale, il dirige le laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au Commissariat à l’énergie atomique (CEA)

 

Les mathématiques comme fondation des sciences modernes ?

« Je suis comme tous mes collègues scientifiques, physiciens et ingénieurs, un héritier de Galilée, l’homme qui a bouleversé notre rapport au monde en proclamant que la nature, la vraie, est écrite « en langue mathématique, et [que] ses caractères sont les triangles, les cercles et autres figures géométriques, sans lesquelles il est humainement impossible d’en comprendre un seul mot, sans lesquelles on erre vraiment dans un labyrinthe obscur ».(Galileo Galilelei, L’Essayeur 1623) . Elle est l’acte (proto)fondateur de la science moderne. En outre, c’est elle qui a donné à la physique tout son efficacité, de venue si spectaculaire au XXème siècle : on sait aujourd’hui décrire avec une très grande  précision le comportement de particules des milliards de milliards de fois plus petites qu’un puceron, comme les quarks ou les gluons ». (p 19)

« La diffusion de la culture scientifique et technique » a ouvert la voie à des types de savoirs nouveaux, sans équivalence avec ceux que véhiculent les cultures traditionnelles ou les autres démarches de connaissance. Mais, car il y a un mais, elle a aussi conduit à l’idée d’une nature séparée de nous-mêmes et du coup susceptible d’être maîtrisée, arraisonnée (..) j’ai compris que les problèmes posés par la puissance de la technoscience étaient en germe dans le geste qui a fondé la science moderne » (p.20).

 

N’est-ce pas notre conceptualisation de la nature, fondée sur l’idée que nous serions autonomes par rapport à elle, qui avait préparé le terrain ? (p29)

 

En 1938, Bertolt Brecht, reprend sa dernière pièce, La Vie de Galilée, pour y ajouter une scène nouvelle qui fait peser un soupçon inattendu sur la science et la rationalité humaine. Un jeune disciple de Galilée, devenu moine, vient reprocher à son maître d’avoir vidé le monde de son sens.  (..) aux yeux du dramaturge, Galilée apparaît comme le nom qu’on peut accorder, emblématiquement à la réussite de l’Occident, mais aussi à son désarroi. (pp31-32).

 

Philosophe allemand Emund Husserl, qui avait été interdit de toute activité académique au motif qu’il était juif, a donné une conférence à Vienne le 7 mai 1935 : La crise de l’humanité européenne et la philosophie. (Le fascisme hitlérien masque une crise bien plus profonde).  La crise de l’Europe qui calcule davantage qu’elle ne pense, qui s’intéresse plus au comment qu’au pourquoi. L’europe qui a perdu la signification du dépôt spirituel hérité de l’Antiquité grecque : La faute à Galilée.

 

La révolution galiléenne ne se résume pas à la victoire de la science sur l’ignorance, l’illusion et le préjugé. Elle inaugure aussi la substitution par laquelle le monde mathématique, c’est-à-dire le monde des idéalités, est pris pour le seul monde réel. Au départ cette découverte n’avait de signification que méthodologique : pour connaître la réalité de l’univers matériel, il s’agissait de s’en tenir à ce qui est mathématisable, donc ne pas prendre en compte son apparence sensible, l’expérience subjective que nous en avons. Mais un glissement insensible, cette réduction est devenue non seulement méthodologique, mais ontologique : elle a mis hors jeu nos affects, nos sens, sensations, nos humeurs  (…) Ce n’est pas le rationalisme en lui-même qu’il faut remettre en cause, mais seulement son aliénation, son enlisement dans l’objectivisme (p 32-34).

 

La crise, (en référence à Husserl..)  ne touche pas les sciences elles-mêmes (..) elle concerne seulement la difficulté qu’ont les sciences à éclairer le sens et la finalité de l’existence humaine (p49).  Une connaissance objective de la nature ne saurait suffire pour résoudre les problèmes généraux de la cité, ni à étancher les aspirations de nos âmes, ni à fournir de son propre élan une sagesse qui nous parle. La politique, l’éthique, la spiritualité et la philosophie nous demeurent absolument et définitivement indispensable. (p52)

 

Il y a une contradiction entre notre exigence éthique d’égalité et notre mode de développement. D’où le dilemme : ou bien, nous les riches, nous nous couperons du reste du monde au moyen de boucliers divers, ou bien nous inventerons un autre mode de développement qui aura la propriété  de pouvoir être universel à l’échelle de l’humanité entière (p111)

 

Edmund Husserl, La terre ne se meut pas, mai 1934

Husserl ne conteste nullement la valeur de la vérité découverte de Copernic et Galilée : il demeure acquis que la terre tourne autour du soleil. Simplement, selon lui, la Terre n’est pas une planète comme une autre, mai le sol originaire et insubstituable de notre ancrage corporel : pour nous elle n’est pas en mouvement. L’oubli de cette relation primordiale du corps au sol qui le soutient est la « faute originelle » de la modernité scientifique. En revenant sur la révolution cosmologique et physique de Copernic et Galilée, Husserl montre que la distance théorique que nous prenons avec la Terre lorsque nous l’imaginons comme une planète risque d’ébranler un enracinement premier, indispensable pour notre rapport au monde et aux autres. De par notre histoire et nos représentations, nous sommes fondamentalement des êtres géocentrés. (  ) La Terre est notre terre, notre seul sol possible, même si on lui découvre ailleurs des sœurs quasi jumelles, elle n’en deviendra pas pour autant un objet quelconque pour nous (  ) L’irréductible unicité qu’à pour nous la Terre devrait suffire à changer notre regard sur elle (p 114-115).

 

Commentaire

Pour ma part la fondation des sciences modernes doit être recherchée plutôt dans notre conception de l’individu humain, de sa place dans le monde dont la vocation est « d’exproprier la nature de ses ressources » (John Lock, philosophe anglais qui a marqué le siècle des Lumières.)