Les Tisserands. Réparer le tissu déchiré du monde
L’intérêt de ce livre est de nous aider à réfléchir, d’une manière simultanée, sur trois relations, ou trois liens qui nous permettent de construire notre individuation : la relation à nous-mêmes (domaine de l’éthique, de la philosophie, du spirituel), la relation à autrui (domaine de la famille, du social, du politique), la relation à la nature (domaine de l’écologie). Généralement nous abordons ces domaines séparément ou au mieux par deux.
On pourrait nommer ce livre : la culture du lien, la civilisation du lien.
Malgré l’intérêt de ce livre, il n’est pas très aisé de le lire. Comme le dit l’auteur c’est un livre étrange, difficile à aborder pour un esprit purement rationnel. «Il est autant question de politique que de sagesse. C’est délibérément un livre étrange, un drôle d’essai de spiritualité politique et un traité de politique spirituelle »p118
Le livre est divisé en 37 propos, et il est parfois difficile de retrouver la logique de construction de la démarche de l’auteur. Il y a des répétitions des redites plus pour convaincre que pour démontrer. Pour mieux comprendre ce livre et entrer plus facilement dans la démarche de l’auteur, il est recommandé de lire auparavant son livre Comment sortir de la religion.
Pour mieux saisir les enjeux de ce livre il faut le relier à d'autres ouvrages "Les millions de révolutions tranquilles", "Les créatifs culturels" ( Voir les fiches de lecture).
1.L’auteur
Abdennour Bidar, né en janvier 1971 à Clermont Ferrand, est normalien, docteur en philosophie. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la philosophie de la religion à partir notamment d’études sur l’Islam dont L’islam sans soumission, pour un existentialisme musulman (2008) et Comment sortir de la religion (2012)[1]. Il a publié récemment « Lettre ouverte au monde musulman » (2105).
Ses ouvrages abordent principalement deux thèmes :
- L’existentialisme musulman, c’est-à-dire l’émergence dans l’islam d’une volonté de liberté de l’individu vis-à-vis des dogmes et des coutumes de la tradition religieuse.
- La sortie de la religion, thème issu de l’Occident moderne et qui aurait été mal compris par ce même Occident. Pour Bidar, la sortie de la religion est un processus en cours actuellement malgré les apparences d’un retour du religieux, thèse par contre défendue par Gilles kepler[2].
Abdennour Bidar est chargé de mission sur la pédagogie de la laïcité au Ministère de l’Education Nationale, et a été nommé membre de l’Observatoire de la laïcité. Il a été animateur et producteur d’émission sur l’Islam à France Inter et France Culture.
2 Problématique
Dès la première page de son livre, Abdennour Bidar situe son ouvrage dans le prolongement de celui de Bénédicte Manier, Un million de révolutions tranquilles (2012), qui touche tous les domaines de la vie humaine : travail, argent, santé, habitat, environnement. « J’appelle Tisserands les acteurs de ces révolutions ». Ces tisserands ont besoin de renfort pour « relier la vie », car « d’énormes forces de destruction sur la planète entière aggravent continuellement ces multiples déchirures et divisions dont nous souffrons tous à un degré ou à un autre : la séparation de l’homme avec son âme, les inégalités et les fractures sociales, les absurdes guerres culturelles, l’épouvantable divorce entre l’homme et la nature » (p.8). « Il est temps de rassembler toutes les forces de la résistance tisserande ».
Il situe l’action des tisserands dans la lignée des créatifs culturels, expression créée par un sociologue américain. Il reprend le terme « triple lien » (à soi, à autrui, à la nature) que développe ces créatifs culturels et qui est décrit dans la préface de l’ouvrage Les créatifs culturels en France[3] . Le Triple Lien comprend :
- Le lien retrouvé avec notre moi le plus profond, source de vitalité et d’inspiration créatrice
- Le lien retrouvé avec autrui, dans le partage équitable, la tolérance et la coexistence pacifique.
- Le lien retrouvé avec la nature, fait d’émerveillement, d’éveil à la puissance de la vie, et de symbiose
Une génération spontanée de Tisseurs de monde sont entrés en lutte contre la menace de la grande déchirure du monde (fracture sociale, fractures culturelles, Islam / Occident, érection de murs de la honte).
« Pour passer à l’action, il faut surmonter la difficulté de ce que représente la compréhension de qu’est un lien nourricier, une vie bien reliée, une civilisation du lien. Le Triple Lien, a soi, à autrui et à la nature, est nourricier parce que sans lui notre ego et notre humanité se dessèchent et dépérissent» (p.20). « Le lien à soi est le premier lien qui n’a de sens que s’il conduit aux autres. (..) En retour, le lien à autrui et le lien au monde inspirent aussi le lien à soi. Le Triple Lien ne sont pas trois directions, mais trois pôles d’une circulation d’énergie dont chacun alimente l’autre » (p.23)
« Jusqu’à l’apparition des Tisserands, la modernité a eu du mal à proposer un substitut aux promesses des religions, qui seraient capable de soulever l’existence au-delà d’elles-mêmes » Pour la première fois, peut-être, nous avons une vraie relève du religieux, qui nous permet d’envisager de passer au-delà. D’aller voir spirituellement par-delà les religions et donc de relancer l’histoire spirituelle de l’humanité.(p. 23)
3. L’objectif du livre
« Dans la Grande Bataille qui vient de s’engager dans tous les domaines entre ceux qui déchirent et ceux qui tissent », l’objectif du livre est de mobiliser de nouvelles vocations de tisserands et « de réinscrire le monde des hommes dans une grande histoire collective, de nous remettre tous sur un grand chemin de sens » (p. 18). Pour préciser ce qu’il appelle Tisserands, Bidar fait référence à Cyril Dion, auteur du film et du livre Demain : « construire du sens, de l’enthousiasme, des histoires qui parlent aussi bien à notre intelligence qu’à nos cœurs ».
4. Pourquoi après deux siècles de progrès politique et technique, le tissu du monde se déchire autant ?
4.1 Les grands idéaux politiques sont arrivés à leur limite en tant que force motrice de la civilisation
« Nos grands idéaux politiques cristallisés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme sont notre bien commun mondial le plus précieux, mais ils apparaissent - hélas – désormais comme incapables de conduire le moindre progrès au-delà de ce qu’ils ont déjà accouché. Ils semblent arrivés à la limite de leur compétence et de leur force motrice de la civilisation. A tous les échelons –institutions internationales, Etat-nations, nous constatons la dévitalisation complète de tous les discours qui s’en tiennent à des valeurs morales ou à des principes politiques. Ils sont devenus impuissants, ils ne parlent plus aux peuples, ils ne parlent plus aux jeunes générations et ils ne le feront plus s’ils s’obstinent à rester horizontaux, c’est-à-dire sans cette dimension appelée spirituelle ». (p. 120). Notre époque est celle du besoin de sens.
4.2 Le siècle des Lumières : l’individu est autonome
« Une grande erreur du siècle des Lumières a été de nous laisser croire que l’individu est un tout indépendant du reste, une individualité autonome » (p.63). « Encouragé par les encensements médiatiques et cinématographiques, le culte de l’individualisme nous a fait un mal immense »
« Le monde moderne n’a pas eu complétement tort de mettre l’individualité au centre de son système de civilisation. Il ne s’est trompé de totem. Il fallait bien élire comme valeur cardinale de la civilisation humaine, la dignité de chaque individu et l’objectif de son plein épanouissement ou le bonheur » ; « cependant ce qui a été négligé, c’est l’importance de ce qui nourrit les personnes : les relations entre elles » (p. 65)
« On a vécu sur une conception complétement fausse de l’individualité humaine comme être, comme étant une machine autoalimentée » En réalité, « tout l’énergie vitale nous arrive de l’extérieur de l’individualité par le triple Lien » (p.66)
4.3 La question du sens de la vie ne peut plus être une affaire purement privée
« Sur tous les continents, nos classes politique et nos grands décideurs internationaux, qu’ils soient progressistes ou conservateurs, démocrates ou républicains, libéraux ou socialistes, vivent encore au XXè siècle, quand le monde humain se donnait l’illusion que les questions relatives au sens de la vie étaient devenues une affaire purement privée. Or voilà qu’à présent elles reviennent partout au centre des affaires de la cité, et nous ne ferons repartir le progrès humain qu’en le mettant au service de la prise en charge de ces aspirations fondamentales, qui sont l’énergie du monde à venir » ( p. 121).
« Les génération qui arrivent veulent trouver du sens à leur vie et lui en donner – pas se contenter de la gagner » Qu’avons-nous à leur offrir ? Ce qui manque aujourd’hui à la jeunesse : « quelque chose de grand à quoi consacrer sa vie, un ou des idéaux qui susciteraient des convictions fortes, un ou des grands récits qui réenchanteraient l’existence en ouvrant devant nous un horizon d’espèrance, de fraternité ou de communion sans frontières ! » (p. 32)
4.4 Ne pas se laisser impressionner par l’impuissance des médias à nous donner à voir autre chose que la gravité de la déchirure du monde (pp. 66-68)
Les médias, en passant en boucle tout ce qui ne cesse de déchirer le monde des hommes, contribuent à aggraver la situation à cause de l’effet des images sur la conscience. Voilà comme on créée aujourd’hui des générations de gens qui ne croient plus à rien, des découragés d’avance, des cyniques (p.67). Quand les médias parlent des efforts de retissage du monde, ils le font d’une manière réductrice ; avides de belles histoires ils se contentent de mettre en avant quelques tisserands exceptionnels, et ils passent à autres choses.
4.4 Pour une nouvelle anthropologie
« Le petit moi » tout seul n’est rien, mais cette réalité est difficile à faire entendre à cause de :
- La croyance qu’il n’y a pas de vie sociale possible autrement que dans une rivalité où chacun se bat seul contre tous, où l’homme doit se faire tout seul.
- L’individualisme héritage du « pense par toi-même des Lumières » ; comment concilier autonomie et appartenance (p.45).
- L’existence de groupes ou tribus sociales juxtaposés les uns aux autres, et qui coexistent dans l’indifférence mutuelle (p.47).
Il faut repenser la civilisation à partir d’une autre anthropologie que celle de « l’homme loup », du « self made ».
5. Une place important accordée au spirituel dans le triple lien
Pour Bidar ce n’est pas un hasard si « toutes ces luttes tisserandes pour la « reliaison du monde » s’amorcent alors même que la question du spirituel revient au centre de nos questions de civilisation » ( p. 8).
5.1 Qu’est ce que le spirituel ?
Le terme spirituel vient du mot esprit qui renvoie, lui-même à l’idée d’être inspirée et à la notion de « souffle de vie » créateur » (p.9) ( le thème de l’homme créateur est développé dans son livre Comment sortir de la religion )
« La vie Tisserande est un vraie alternative au religieux » (p24), elle le concurrence sur son terrain, qui « est celui du sens de la vie et de l’être plus (plus humain, plus conscient, plus vivant) » (p24)
La spiritualité n’est pas indispensable à tous les Tisserands, il n’est pas question de l’imposer (p.25) « L’important est de se retrouver dans quelques convictions fondamentales ; chacun d’entre nous est relié à plus vaste que lui, qui le fait grandir ; le petit moi est rien tout seul ; seule une nouvelle culture des liens, nous fera sortir de toutes nos fractures - intérieures, sociales, écologiques (. ;) nous fera grandir en humanité et nous appeler vers le mystère de l’existence » (p.25).
5.2 La culture du Triple Lien comme vie spirituelle
« C’est une véritable dilatation et transformation vécue en mon être, que j’assiste, lorsque je tisse l’un ou l’autre des trois fils du Triple Lien » (p.26). « La culture du Triple Lien apparaît comme une vie spirituelle bien plus libre et vaste que n’importe quelle religion avec ses rites et ses dogmes » (p. 27). Une vie reliée est une vie spirituelle, c’est le signe que « l’histoire spirituelle de notre humanité mute hors des époques religieuses » (p29)
« Grâce aux liens, notre être s’étend au-delà du petit moi comme s’il lui poussait des racines, des ramifications et des branches » (p.35) « Seul un petit moi bien relié peut croître en vitalité, transcender ses limites ordinaires » (p. 37). Une vie bien reliée est un dispositif grâce auquel nos existences passent du fini à l’infini ; plus les liens sont nombreux et puissants, plus ce passage s’accélère (p. 43).
Les Tisserands resteront séparés en famille étrangères aussi longtemps qu’ils ne verront pas qu’ils participent tous à ce « passage à l’infini » de la vie humaine (p. 43)
« Le critère de développement d’une société, et plus largement, de la civilisation humaine, est simultanément la qualité des liens qu’elle met à la disposition de chacun de ses membres et la qualité du processus d’humanisation qu’elle leur offre »(p.37)
5.3 « L’Etre essentiel », « Le Soi »
« L’Etre essentiel », est celui qui a conscience de son moi profond par opposition à l’ « être superficiel » ; Dans l’hindouisme on retrouve cette opposition entre le « Soi »et le « moi ». Le « Soi » de l’Inde a influencé Jung dans sa reconnaissance l’existence en chaque humain de l’archétype du Soi : le noyau fondateur de l’être, dont il doit devenir le fruit.
« Faute d’une culture symbolique, héritage des anciens, il manque aux tisserands la compréhension de la nature de ce à quoi ils touchent. Il leur manque aussi, par conséquent, la possibilité de s’unir autour de cette connaissance. De cette unification des Tisserands dépendra l’issue de leur engagement. Leurs démarches se font sur des plans si différents que cela contribue à les aveugler en les empêchant de se reconnaître mutuellement. Tous ces premiers lieurs ne sont pas assez liés entre eux. Il leur manque la conviction fondamentale qui les réunirait (p. 42)
Des images sont proposées pour comprendre la relation entre la conscience du moi et du Soi : la vague et la mer, la feuille et l’arbre (pp. 77-78). Nous avons besoin des images symboliques que nous avons héritées de religions, de sagesses du passé.
On peut retrouver le Soi par la recherche de son intériorité, du calme intérieur, par la méditation, par la pratique du yoga (pp. 72-75)
La présence du Soi en nous est décrite par Platon, par Sankara, par maître Eckhart (pp. 82-83)
Le thème de la relation du moi et du Soi, thème central et universel de la culture humaine, est absent des philosophes actuels et des sciences humaines mais aussi des éducations religieuses. Les religions n’enseignent pas aux humains de réaliser le divin qui est en eux.
Les Bouddhistes, les hindous, les taoïstes, les soufis musulmans, les mystiques chrétiens ou juifs décrivent l’Eveil ou le réveil comme un déchirement d’un voile d’illusion (p. 86) l’individu se trouve soudain libéré de l’identification exclusive au petit moi et expérimente un « je suis » sans commune mesure avec le petit ego.
Il nous faut réapprendre à rétablir le dialogue entre l’homme du dedans et l’homme du dehors, le moi profond et le moi ordinaire, hors de tout système religieux, de toute doctrine, de toute idéologie (p. 88). L’auteur donne l’exemple de Sésame, centre de culture et de recherche spirituelle qu’il anime ; ce centre d’un nouveau genre, ni universitaire, ni religieux, a pour objectif d’ « explorer, partager, réinventer le spirituel de notre temps » (p. 88).
Aussi longtemps qu’il reste enfermé dans l’illusion d’être un « être à part », séparé des autres et perdu dans l’immensité de l’univers, notre petit moi se voit tellement « peu de chose » qu’il prend peur. La peur naît de l’ignorance de soi. Faute d’avoir cultivé le Triple Lien, qui lui aurait donné la conscience et la confiance de ses indéfinis prolongements, le petit moi se sent si faible, si dérisoire qu’il semble condamné à l’égoïsme par une sorte de réflexe de survie. L’individu relié à la source de lumière et de vitalité du Soi dépasse définitivement l’égoïsme. Il se sent se déverser en lui-même une telle force d’être, une telle puissance d’agir, qu’il a de moins en moins peur de manquer, jusqu’à ne plus avoir peur de rien, ni de personne. « Le lien au Soi nous fait faire l’expérience d’un infini en nous-mêmes » (p. 157)
Le petit moi est le vêtement du Soi dans ce monde, le petit moi passe, l’Etre essentiel reste, il va s’incarner ailleurs, dans une autre existence, dans un autre univers. Une parole soufie : « quand l’homme meurt, il se réveille ». (à méditer !!)
5.4 L’apport de nouvelles découvertes scientifiques : Etre relié, c’est être plus
L’apport récent des neurosciences sur le fonctionnement des neurones miroirs[4], et ceux de l’épigénétique montre que notre vraie nature est d’être relié. Nos gènes sont activés, éteints ou modifiés, par les circonstances de notre vie, par l’environnement, par ce que nous mangeons, par les personnes qui nous entourent et par la façon dont nous conduisons notre vie (p.51).
La loi du lien, ou « paradigme de l’interaction créatrice » est la prise de conscience qui s’impose aujourd’hui dans les sciences. Chaque système ou entité se construit, se développe, se diversifie, par les interactions qu’il entretient avec son milieu, (en biologie, en physique, en psychologie (p. 52).
Issu de la biologie des éco-systèmes, le concept de symbiose exprime parfaitement l’idée d’une relation d’échange équitable entre deux organismes. Le paradigme (principe fondamental) de symbiose est l’un des plus synthétiques de tous les démarches des Tisserands Il va plus loin que l’idée de justice ou de partage, se révèle comme une loi majeure du vivant (exemple les centaines d’espèces de bactéries qui prolifèrent dans nos intestins et qui facilitent notre digestion, régulent notre système immunitaire ; exemples de l’économie sociale et solidaire). Il faut prôner la coopération symbiotique au lieu de la rivalité et de l’individualisme (p.128)
Plus les échanges dans un système sont denses riches, plus l’ensemble est capable d’évoluer ; quand les échanges sont pauvres et se raréfient, tout système court à sa perte. Ce n’est pas l’être humain qui est égoïste par nature, mais notre civilisation qui le conditionne à vivre replié sur ses petits plaisirs privés (p.135).
L’humanité progresse à mesure qu’elle crée des univers toujours plus interconnectés ; C’est pourquoi actuellement la crise de la déchirure du monde-toile est si inquiétante (p.63)
5.5 Les Tisserands du lien intérieur, être relié au fil d’or
Activer notre âme, notre trésor intérieur, c’est activer nos ressources d’humanité, de notre conscience, de vitalité
Le fil d’or, (notre lien au Soi, à l’Etre Essentiel) est celui « qui vivifie l’ensemble des liens à partir de la source hors univers (p. 56). Pour l’homme sage, son lien au fil d’or ne peut plus le rendre esclave : étant relié hors du monde, il échappe à tout enfermement dans ce monde (p.56), c’est la dimension cosmique de la dignité humaine ; mais cette perspective métaphysique nous est-elle pas devenue complétement étrangère ? ». L’auteur cite Martin Heidegger qui croît que nous sommes réduits à notre existence dans la limite de notre existence, dans les limites de l’univers.
Le lien intérieur est le plus décisif pour les Tisserands « Il est plus que temps qu’enfin la créativité, ou liberté personnelle, soit revendiquée aussi dans ce domaine de la vie profonde où depuis la nuit des temps la religion a voulu imposer sa loi avec les réponses toutes faites fabriquées par ses chefs . L’heure est venue des autodidactes spirituels » (p. 94)
Il ne faut pas se priver de la très riche culture symbolique des sagesses et religions anciennes, et de leurs méthodes de méditation , mais à chacun d’y trouver l’inspiration qui lui convient (pp 95-96). A chacun d’inventer sa voie spirituelle, de façon non pas solitaire mais personnelles : à chacun de devenir son propre maître, à chacun d’aider les autres à le faire » (p. 98).
L’autodidacte spirituel doit se prémunir de deux risques majeurs : l’ignorance et l’individualisme. Il doit trouver des compagnons de route pour former une nouvelle sociabilité spirituelle sans frontière ni hiérarchie.
Plus une voie du passé vous paraît fiable, plus cela vaut la peine de la réinventer par soi-même (p.101). La pratique des tisserands intérieurs montre qu’ils associent presque systématiquement spiritualité et liberté.
Le lien intérieur est la clé du vrai bonheur car il nous rend de plus en plus créateur, il nous communique une part de la puissance créatrice du Soi (p109).
5.6 Les trois fils du Triple Lien sont à nouer ensemble à partir du nœud central du lien à soi (p. 113)
Confucius considérait qu’il n’y a aucune chance d’avoir une société juste si l’homme social n’est pas relié à l’homme intérieur (p. 113); selon Confucius, la santé du lien à soi, prédétermine et inspire la santé de tous les autres liens (p. 126).
Le double axiome du Tisserand
- Pas de lien tissé à l’extérieur de soi qui ait la solidité nécessaire s’il n’est pas relié à partir du fil d’or du lien tissé à l’intérieur de soi
- Pas de lien tissé à l’intérieur de soi qui atteint son but s’il n’est relié et consacré aux liens tissés hors de soi 114
Les deux derniers siècles ont commis cette tragique erreur d’axer le monde sur un homme décentré « qui vit dans l’ignorance, à la surface de soi » (p.114)
Confucius considérait qu’il n’y a aucune chance d’avoir une société juste si l’homme social n’est pas relié à l’homme intérieur (p. 113); selon Confucius, la santé du lien à soi, prédétermine et inspire la santé de tous les autres liens (p. 126).
6. Tisser des liens entre les Tisserands
Il y a eu les Pré-Tisserands politiques, les précurseurs : « ils se sont battus en humanistes pour la qualité des liens sociaux et l’amélioration de la société, l’obtention des droits sociaux et politiques fondamentaux, l’égalité, la solidarité, la paix, l’éducation des masses et l’indépendance des peuples ; contre la misère et l’exploitation de l’homme par l’homme, les écarts de richesses, les dictatures et les totalitarismes. Mais toutes ces luttes se sont trop souvent limitées au plan politique, sans intuition suffisante qu’une société a d’autant de chances de changer que ses membres travaillent sur eux-mêmes » (p.115)
A l’intérieur d’une modernité qui réduisait le spirituel au religieux, ces militants avaient généralement qu’une médiocre connaissance des héritage de sagesse et pas ou peu de projet de transformation traditionnelle. Pourquoi après deux siècles de progrès politique et technique, le tissu du monde se déchire autant. Confucius avait-il raison ?
Les Pré-Tisserands du lien intérieur : « A l’inverse , les individus qui, durant les deux siècles précédents, se sont engagé dans une quête intérieur restaient – à quelques exceptions près – à l’écart de la société et ne menaient pas de combat politique, leur démarche était individuelle voire individualiste ; ils pensaient que la réforme de soi entraîne d’une façon automatique la réforme du monde.
Les Pré-Tisserands des XIXe et XXe siècle ont vécu en parallèle, sans se connaître ni s’associer, sans unir eux-mêmes les deux dimensions (excepté des hommes comme Gandhi, Martin Luther King (p.117)
Nous avons besoin d’écrire de nouveau genre de livres qui allient la question de la vie sociale et la question de la vie intérieure. Dans lesquels le savoir scientifique et la sagesse s’inspireront mutuellement. Retrouvons l’inspiration rare et complexe d’un Tolstoï, d’un Romain Rolland, d’un Jean Jaurès qui savaient incarner l’union de la conscience spirituelle et de la conscience politique. « Leur vie intérieure et leur lutte sociale se fécondaient l’une à l’autre » (p.120)
« C’est pourquoi les Tisserands du lien intérieur ne peuvent plus se contenter de leur posture traditionnelle, en retrait du monde. Debout, les chercheurs de sagesse, faîtes irruption dans la société ! Sortez de vos lieux de retraite, et levez-vous de vos coussins de méditation ! De façon complémentaire, j’exhorte, avec la même insistance, les Tisserands du lien social à spiritualiser leur démarche, à rentrer en eux-mêmes avec le même élan qu’ils ont en dehors ! » (p.120)
8. De l’homme augmenté, vers l’humain divin
Ce qui va exploser dans les décennies à venir, c’est notre puissance personnelle d’agir ; les perspectives ouvertes par les sciences et les techniques sont celles d’une liaison homme-machine qui va nous métamorphose en accroissant indéfiniment notre champ de perception et d’action (p.150) « l’individu augmenté bénéficiera d’un cerveau connecté à la machine, de prothèses corporelles intégrées, d’organes et tissus indéfiniment renouvelables par la médecine régénérative – il est envisageable que notre corps lui-même ne soit plus demain le siège de notre conscience mais que nous ayons la possibilité de nous « décorporer » pour entrer dans une existence qui se déplacerait à volonté de support physique en support virtuel. Il est temps de comprendre que cela relève plus de la science-fiction mais du futur proche et de prendre la mesure de ce qui se passe qui n’est plus ou moins qu’une mutation de notre espèce » !!!!!
Avec l’avènement de l’homme augmenté, la menace de l’égoïsme, de l’individualisme, de l’égocentrisme, risque de devenir incomparablement plus forte que jamais. « Nous sommes menacés maintenant de devenir des sortes de jeunes dieux fous, intenables et inconscients, ivres de leur surpuissance, et sans aucune sagesse à leur mesure – à leur démesure. » « Face à la survenue imminente de l’homme augmenté, il va falloir se libérer immédiatement, de l’inquiétude, de la fascination, pour travailler sur nous-mêmes à la hauteur du défi - c’est-à-dire reprendre le travail ancestral de toutes nos sagesses d’Orient et d’Occident qui éduquaient l’être humain à grandir en humanité ; Il s’agit de repenser l’éducation et toutes les institutions humaines dans le sens de la culture du lien intérieur (p.154)
Plus l’histoire de l’humanité avance, plus l’humanité se rapprocherait de cette capacité finale
L’évolution de l’humanité pourrait être interprétée comme la gestation puis la croissance d’un génie créateur inouï. Nous prenons le chemin de la divinisation sans y être prêts du tout (p. 179). S’inspirant d’un passage du Coran, Bidar nous dit : « L’être humain serait symboliquement appelé à devenir le successeur ou l’héritier des dieux, c’est-à-dire le réellement le nouveau titulaire ou dépositaire d’une puissance primitivement attribuée à ces dieux (..) L’home aurait-il donc imaginé des dieux pour se doter du modèle de sagesse toute puissante grâce auquel il pourra se gouverner lui-même un jour ? Qui sait ? » (p.180)
7. Une petite place accordée à la dynamique des liens avec autrui et avec la nature
On notera que le livre accorde peu de place à la dynamique des liens avec autrui (pp. 163-170) et avec la nature (171-176). Des exemples de liens avec autrui sont quelquefois fois cités à propos d’action sociales ou politiques, mais aucun n’est donné pour le lien avec la nature, sauf dans le paragraphe qui lui est consacré. Néanmoins, pour l’auteur ces deux liens « sont de formidables écoles de dépassement de l’égoïsme ».
Dans le paragraphe sur les liens avec autrui est mis en avant l’apport du concept de « capability », ou « libertés substantielles » de l’économiste indien Amartya Sen. Pour cet économiste, la société doit donner à chaque individu les possibilités intellectuelle, culturelle et économique, de prendre sa vie en main, de choisir ses engagements sociaux et professionnels qui lui correspondent. « En ce sens-là, la théorie des capabilités représente un véritable progrès de philosophie et d’action politique, parce qu’elle permet de dépasser la conception libérale de l’autonomie, qui a prévalu au XXè siècle. Celle-ci se contentait de dire que les Etats doivent laisser les individus libres d’agir et d’entreprendre, sans se soucier que tous aient réellement les moyens de le faire » (p.167)
Concernant le lien à la nature, l’auteur souligne que « nous n’en n’avons pas conscience, mais nos environnements urbains sont mortifères. Ils atrophient notre sens de la vie, notre sensibilité au lien organique entre tous les vivants » (p.173)
[1] Voir ma note de lecture
[2] Dans son livre La Revanche de Dieu, Seuil 1991
[3] Editions Yves Michel, 2006
[4] « Lorsque nous voyons quelqu’un agir, les neurones miroirs se mettent en action de la même façon que nous agissions nous-mêmes , comme si chacun d’entre nous était à la fois le spectateur et l’acteur de de tout ce que fait un être humain »(p.50)