Où atterrir ? Comment s’orienter en politique
Livre de Bruno Latour
Ce livre propose une nouvelle manière de concevoir une politique qui prenne en compte les enjeux écologiques, l’explosion des inégalités, en repensant les relations entre le Local et le Global. De nombreux thèmes sont abordés : mondialisation, nation, frontière, régulation, migrations, opposition gauche /droite, le local et le global.
L’intérêt de ce livre est de nous nous proposer et de nous aider à changer notre conception de ce qu’est un territoire, « un terrain de vie »
Problématique
Accord de Paris sur le climat (12 décembre 2015), conférence COP 21 : alors que les signataires applaudissent au succès de l’improbable accord, en même temps ils découvrent qu’il faudrait plusieurs planètes pour réaliser leurs perspectives de modernisation auxquels ils rêvaient. Si la modernisation vers laquelle tous les pays aspirent est maintenues, il n’y aura plus de territoire assuré. La notion de sol est en train de changer de nature, le sol rêvé de la modernisation et de la mondialisation commence à se dérober, « nous sommes tous en migration vers des territoires à redécouvrir ou à réoccuper » p14
Les habitants des pays riches doivent comprendre qu’il va leur falloir changer la totalité de leurs modes de vie, ils devront changer de mode de vie, de « territoire de vie », en restant sur place, ils devront accepter le drame de se voir quittés par leur pays. Aux migrants venus de l’extérieur, il faut ajouter ces migrants de l’intérieur.
« Si nous voulons défendre nos appartenances, il va nous falloir aussi identifier ces migrations sans forme, ni nation, qu’on appelle, climat, érosion, pollution, épuisement des ressources destruction des habitats. Même en scellant les frontières aux réfugiés, jamais vous n’empêcherez les autres de passer. (..) Ni la souveraineté des Etats ni l’étanchéité des frontières ne peuvent plus tenir lieu de politiques »p20
« Ou bien nous dénions l’existence du problème ou bien nous cherchons à atterrir. C’est désormais ce qui nous divise tous, bien plus que de savoir si nous sommes de droite ou de gauche »p15
Pour réussir les défis à surmonter il faut rendre complémentaire deux mouvements que la modernisation avait rendus contradictoires : s’attacher à un sol d’une part, se mondialiser de l’autre.
Il ne nous faut pas chercher la clef de la situation actuelle dans un manque d’intelligence il faut la chercher dans la forme de territoire auxquels cette intelligence s’applique p38 Il nous faut imaginer d’autres formes de territoir
Différence entre le Global et le Terrestre, entre voir de l’extérieur et de l’intérieur
Deux approches différentes : « Le Global saisit toutes choses depuis le lointain, comme si elles étaient extérieures au monde social et tout à fait indifférentes aux soucis des humains. Le Terrestre saisit les mêmes agencements comme vus de près, intérieurs au collectifs et sensibles à l’action des humains à laquelle ils réagissent vivement » p87
Nous, les humains, sommes des terrestres au milieu d’autres terrestres.
C’est à la naissance des sciences modernes que l’on doit cette idée de saisir la terre comme une planète comme parmi d’autres, c’est l’invention des objets galiléens, Voir les objets de l’extérieur a permis la création des sciences modernes. Connaître, c’est connaître de l’extérieur.
Une opposition s’est créée entre le réel – extérieur, objectif, et connaissable- et l’intérieur -irréel, subjectif et inconnaissable. On a associé le subjectif avec l’archaïque et le dépassé ; l’objectif avec le moderne et le progressiste.
Le Terrestre se limite à une minuscule zone de quelques kilomètres d’épaisseur entre l’atmosphère et les roches mères, c’est la Zone critique p103.Dans le Terrestre, il nous faut en s’accrochant fermement aux sciences comprendre ce que veut dire distribuer l’action, l’animation, la puissance d’agir de nombreux agissants
Le Terrestre dessine littéralement un autre monde aussi différent de la « nature » que de ce qu’on appelait le « monde humain » ou la « société ». Les trois sont des êtres en partie politiques, mais ils ne mènent pas à la même occupation du sol, à la même « prise de terre ». Célébrer la marche du progrès, ne peut pas avoir la même signification selon que l’on se dirige vers le Global ou que l’on mène à des avancées décisives dans la pris en compte des réactions de la Terre à notre action p104
L’utilisation du mot nature est cause de confusion et de blocage.
On ne fera aucune avancée vers une politique de la nature tant qu’on utilisera le même terme pour désigner par exemple, une recherche sur le magnétisme terrestre et le rôle des vers de terre dans l’aération des sols,p95. Pour pouvoir commencer à décrire objectivement, rationnellement, efficacement, pour peindre avec réalisme la situation du Terrestre on a besoin de toutes les sciences, mais autrement positionnées.
On doit distinguer soigneusement dans les sciences dites naturelles celles qui portent sur l’univers et celles qui portent sur la nature-processus (natura, phusis). Par exemple la composition de l’air que nous respirons n’est plus l’environnement dans lesquels les vivants se situent et où ils évolueraient, mais en partie, le résultat de leur action. Il n’y a pas d ’un coté des organismes et de l’autre un environnement, mais une superposition d’agencements mutuels.
Passer d’une analyse en termes de système de production à une analyse en termes de système d’engendrement.
Le système de production était fondé sur une certaine conception de la nature, du matérialisme et du rôle des science ; il se fondait sur une division entre les acteurs humains et leurs ressources. Le système d’engendrement met aux prises des agents, des acteurs, des animés qui ont tous des capacités de réaction distinctes, il ne procède pas de la même conception de la matérialité, n’a pas la même épistémologie et ne mène pas aux mêmes politiques p106
« Le Terrestre redistribue la politique. Chacun des êtres qui participent à la composition d’un terrain de vie possède sa propre façon de repérer ce qui est local et ce qui est global et de définir son intrication avec les autres. « Le CO2 n’a pas la même spatialisation que les transports urbains, les aquifères ne sont pas locales au même sens que les grippes aviaires, les antibiotiques globalisent le monde d’une toute autre façon que les terroristes islamistes ; les villes ne forment pas les mêmes espaces que les Etats ; l’économie fondée sur le charbon ne dessine pas les mêmes luttes sociales que celle fondée sur le pétrole » p119
Définir un terrain de vie, pour un terrestre c’est lister ce dont il a besoin pour sa subsistance, et par conséquent, ce qu’il est prêt à à défendre, au besoin par sa propre vie. Cela vaut pour un loup, une bactérie, pour une entreprise comme pour une forêt.
Un territoire ne se limite pas à un seul type d’agent. C’est l’ensemble des animés – éloignés ou proches – dont on a repéré par enquête, par expérience, par habitude, par culture, que leur présence était indispensable à la survie d’un terrestre. p121